ET SI L’OBÉSITÉ ÉTAIT AUSSI UNE AFFAIRE DE GOÛT ?
Publié le 23 juin 2020.
Des recherches récentes ont montré que les troubles de la perception du goût gras chez les personnes en surpoids ou obèses peuvent être inversés par le traitement chirurgical de l’obésité. Mais, dans ce cas, quels sont les liens avec les papilles gustatives et le microbiote oral ?
On le sait : la surconsommation d’aliments hautement palatables, riches en sucres et en graisses, est un des facteurs de risque du surpoids et de l’obésité (défi nie par un indice de masse corporelle supérieur à 30 kg/m²). Ce que l’on sait moins, c’est si une personne atteinte d'obésité, a un seuil de perception des lipides augmenté, l'incitant à consommer des produits plus gras pour ressentir un réel plaisir gustatif. Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, la perception orale de ces lipides alimentaires ne dépendrait pas uniquement de leur texture et de leurs caractéristiques olfactives. Des lipido-récepteurs ont en effet été identifiés au niveau des bourgeons du goût chez le rongeur et chez l’homme, suggérant que les lipides pourraient aussi être perçus par la voie gustative, tout comme les sucres. Ils pourraient donc jouer un rôle dans l’obésité.
Chirurgie de l’obésité : des impacts mal connus sur le goût
La prise en charge de l’obésité commence généralement par un volet médical, avec un régime alimentaire, de l’activité physique, etc. Si ce traitement est inefficace au bout d’au moins un an, une intervention chirurgicale est recommandée en cas d’obésité morbide (IMC ≥ 40 kg/m² ou égal à 35 kg/m² avec des comorbidités associées).
Cette chirurgie dite bariatrique fait appel majoritairement à deux techniques : • la « sleeve gastrectomie » qui consiste à retirer les deux tiers de l’estomac. Elle favorise la perte de poids par au moins trois mécanismes : limitation de la prise alimentaire grâce à la réduction du volume gastrique ; diminution de la sensation de faim par la réduction de la sécrétion de ghréline ; modification de la flore bactérienne (microbiote), ce qui entraîne un changement de la perception des goûts et de l’appétence pour certains aliments ; • le « court-circuit gastrique » ou CCG, permettant de réduire le volume de l’estomac et de modifier le circuit alimentaire en reliant l’estomac à la partie moyenne de l’intestin grêle. Dans ce cas, la digestion des aliments est modifiée. D’après des recherches récentes, une perte importante de poids induite par la chirurgie bariatrique chez le rongeur et chez l'homme tend à limiter la consommation d’aliments hautement palatables. En revanche, les mécanismes moléculaires responsables de ces changements au niveau des bourgeons du goût ne sont pas encore élucidés. Il n’existe pas, à ce jour, d’étude chez l’homme ayant évalué l’impact de l’obésité et/ou de l’amaigrissement sur l’expression des récepteurs du goût. En l’état, deux hypothèses peuvent être formulées.
D’une part, l’amaigrissement pourrait induire une modulation endocrine de l’expression des récepteurs du goût gras qui résulterait notamment d’une sécrétion accrue de GLP-1 (glucagon-like peptide-1), hormone intestinale sécrétée par l’iléon en réponse à un repas et qui fait partie des hormones de satiété. D’autre part, la réduction de l’inflammation et/ou la restauration du microbiote oro-intestinal en lien avec l’amaigrissement postopératoire pourrait entraîner une expression renforcée des récepteurs du goût, donc une meilleure détection des lipides alimentaires.
▪ 1,4 milliard de personnes âgées de 20 ans et plus sont en surpoids dans le monde. Elles devraient être au nombre de 3,3 milliards en 2 030. ▪ En France, 14,5 % de la population adulte est considérée comme obèse, l’obésité touchant toutes les tranches d’âge. ▪ Le surpoids et l’obésité font environ 2,8 millions de victimes dans le monde chaque année. L’obésité est aussi un facteur de risque pour de nombreuses maladies : le diabète, les dyslipidémies, l’hypertension artérielle, les troubles cardio-vasculaires, les cancers.
Un nouveau projet de recherche
Ces observations suscitent de nombreuses questions. Par exemple, la perte de poids induit-elle un changement de l’expression des lipido-récepteurs situés au niveau des bourgeons du goût, de la signalisation lipide-dépendante des cellules gustatives, ou de la prolifération/différenciation des cellules constitutives des bourgeons du goût ? Quel est l’impact respectif de la SG et de la CCG sur ces paramètres ? Quelle pourrait être la conséquence sur les choix alimentaires et la santé ? Le projet de recherche clinique HumanFATaste 2 vise précisément à apporter des réponses à ces questions. Il est coordonné par le Dr Séverine Ledoux, MCU-PH à l’hôpital Louis-Mourier (APHP, Colombe) Université de Paris/Inserm U1149 et le Pr Philippe Besnard, U1231 Inserm/AgroSup Dijon/Univ Bourgogne, Dijon. Le projet est supporté par des financements publics (Agence Nationale de la Recherche, ARN-11-LABX-0021-LipSTIC) et privés (Lesieur - groupe AVRIL et Téréos). Le principe ? Des patientes de l’hôpital Louis-Mourier ont été reçues en consultation dans les deux mois précédent et les six mois suivant leur chirurgie de l’obésité. Objectifs : recueil de données anthropométriques, mesure de la masse grasse par impédancemétrie, enquête alimentaire détaillée, tests de détection des lipides et des sucres, prélèvement sanguin pour le dosage de nombreux paramètres hormonaux et inflammatoires. Une micro- biopsie de langue pour l'analyse des lipido-récepteur et un frottis lingual pour l’étude du microbiote oral ont également été pratiqués avant et après la chirurgie.
L’analyse de l’ensemble de ces données est en cours et les premiers résultats seront publiés prochainement. Ils devraient permettre d’en savoir plus sur les liens entre obésité et perception des goûts, et identifier ainsi des solutions pour mieux lutter contre l’obésité dans les années à venir.
Loredana RADOÏ
PU-PH Chirurgie orale, Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes.
L'Institut français pour la recherche odontologique (IFRO) est une association de recherche sur les dents, les gencives et la sphère oro-pharyngée. Créé à l’initiative de l’ADF, d’universitaires et de partenaires industriels, l’institut est engagé dans le développement et le rayonnement de la recherche en médecine bucco-dentaire en France. Depuis sa création en 2000, il a financé de nombreux projets et bourses de recherche dans le but d’accroître les connaissances dans les domaines du développement de la dent, de la face, des pathologies bucco-dentaires, des matériaux de reconstitution.
+ d'infosBibliographie
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