DES CRUSTACÉS AU SECOURS DES DENTS INFECTÉES
Publié le 8 juillet 2020.
En mettant au point un agent antibactérien à partir d’un composant organique issu des crustacés, des chercheurs lyonnais pourraient faire avancer l’application des nouvelles stratégies thérapeutiques visant à revitaliser les dents dévitalisées.
Plusieurs études ont établi que le taux de survie des dents au sein de la cavité buccale était plus faible lorsque les dents étaient dévitalisées que lorsqu’elles étaient vivantes [1]. Ceci a été attribué à l’absence d’une pulpe dentaire vivante, correctement vascularisée, comprenant un système immunitaire qui lui permet de se défendre, un système sensoriel qui lui permet de percevoir les modifications nocives de son environnement, et des cellules souches qui lui permettent de se régénérer/réparer en cas de nouvelles agressions.
L’absence de pulpe augmente le risque d’infection
L’absence de pulpe rend en effet la dent plus susceptible d’être réinfectée ou fracturée, et donc d’être extraite. Cette constatation a conduit plusieurs groupes de chercheurs en odontologie à proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour régénérer une pulpe dentaire fonctionnelle dans le canal radiculaire et ainsi revitaliser la dent dévitalisée. Parmi les différentes approches testées, la régénération pulpaire basée sur l’implantation de cellules souches dans le canal a récemment donné des résultats prometteurs chez l’homme [2,3]. Cette approche repose sur l’injection intracanalaire d’un médicament de thérapie innovante constitué de cellules souches de pulpe dentaire humaine incorporées dans une matrice de type hydrogel. La principale limitation à l’utilisation en routine de cette solution thérapeutique est que le canal doit être au préalable totalement désinfecté, faute de quoi les bactéries résiduelles empêchent la formation d’un nouveau tissu pulpaire. Or, les matrices utilisées jusqu’à présent, à base de collagène, de fibrine ou d’acide hyaluronique, n’ont pas d’action antimicrobienne. Elles doivent donc être associées à des agents antibactériens. Récemment, des chercheurs de deux laboratoires lyonnais, rassemblés autour du Pr J.-C. Farges (Laboratoire de biologie tissulaire et Ingénierie Thérapeutique – LBTI – UMR CNRS/ UCBL 5305) et du Dr A. Montembault (Laboratoire ingénierie des matériaux polymères – UMR CNRS/UCBL 5223), ont mis au point un hydrogel composite fi brine-chitosan [4].
Le chitosan, utilisé comme agent antibactérien
Le chitosan possède une activité antibactérienne à large spectre. La fibrine est une protéine naturelle produite durant la formation du caillot sanguin. Elle forme un réseau fibrillaire dont plusieurs études récentes ont montré qu’il favorisait la régénération de la pulpe dentaire. Nous avons associé à la fibrine du chitosan un biopolymère polysaccharidique naturel produit à partir de la chitine, qui est un composant organique majeur de l’exosquelette (carapace) des arthropodes (crustacés marins : crabes, crevettes, etc.) et de l’endosquelette des céphalopodes (calmars). Le chitosan peut donc être considéré comme un produit de valorisation des déchets issus du traitement industriel des fruits de mer. Il est non toxique, biodégradable et biocompatible. Ses propriétés structurales et fonctionnelles ont été mises à profi t dans de nombreuses applications telles que l’alimentation et la nutrition, la médecine, la biotechnologie, l’agriculture et la protection de l’environnement [5]. Il a obtenu de l’Agence américaine des aliments et des médicaments (Food and Drug Administration) le statut de produit « généralement reconnu comme sûr » (Generally Recognized As Safe – GRAS). Il est largement utilisé en clinique humaine sous forme de pansement hémostatique, et des études réalisées chez l’animal ont montré qu’il favorisait/accélérait la cicatrisation des plaies cutanées en les protégeant des infections bactériennes. Le chitosan est aussi largement étudié dans le but de concevoir de nouveaux matériaux pour différentes applications biomédicales, notamment pour l’ingénierie tissulaire de l’os et du cartilage, ainsi que des tissus nerveux et vasculaires [6].
Des résultats très prometteurs
Grâce à leurs travaux, les chercheurs lyonnais ont démontré que l’incorporation de chitosan de crevette dans le réseau de fibrine conférait des propriétés antibactériennes à l’hydrogel et que le chitosan n’avait aucun effet délétère sur la viabilité, l’étalement et la prolifération des cellules souches de pulpe dentaire humaine ni sur le dépôt de matrice extracellulaire collagénique au sein de l’hydrogel. Des chercheurs nantais, rassemblés autour du Pr B. Alliot-Licht (Centre de recherche en transplantation et immunologie – Inserm U1064), ont démontré qu’il ne modifiait pas non plus la faible réponse inflammatoire/ immunitaire observée lorsque l’hydrogel est implanté au contact de la pulpe dentaire résiduelle de l’incisive de rat. Au contraire, il stimule l’apparition de macrophages de type M2 qui favorisent la régénération tissulaire. Des études supplémentaires in vivo seront nécessaires pour confirmer ces résultats prometteurs et envisager une utilisation en dentisterie humaine.
Pr Jean-Christophe FARGES
Laboratoire de biologie tissulaire et Ingénierie Thérapeutique (LBTI) – UMR CNRS/UCBL 5305
L'Institut français pour la recherche odontologique (IFRO) est une association de recherche sur les dents, les gencives et la sphère oro-pharyngée. Créé à l’initiative de l’ADF, d’universitaires et de partenaires industriels, l’institut est engagé dans le développement et le rayonnement de la recherche en médecine bucco-dentaire en France. Depuis sa création en 2000, il a financé de nombreux projets et bourses de recherche dans le but d’accroître les connaissances dans les domaines du développement de la dent, de la face, des pathologies bucco-dentaires, des matériaux de reconstitution.
+ d'infosBibliographie
1 S.G. Kim et al., « Regenerative endodontics : barriers and strategies for clinical translation », in Dent. Clin. North Am., juillet 2012, 56(3), 639-49.
2 M. Nakashima et al., « Pulp regeneration by transplantation of dental pulp stem cells in pulpitis : a pilot clinical study », in Stem Cell Res. Ther., mars 2017, 8(1), 61.
3 K. Xuan et al., « Deciduous autologous tooth stem cells regenerate dental pulp after implantation into injured teeth », in Sci. Transl. Med., août 2018, 10(455).
4 M. Ducret et al., « Design and characterization of a chitosan-enriched fi brin hydrogel for human dental pulp regeneration », in Dent. Mater., avril 2019, 35(4), 523-33.
5 R.C. Cheung et al., « Chitosan : An update on potential biomedical and pharmaceutical applications », in Mar. Drugs., août 2015, 13(8), 5156-86.
6 S.M. Ahsan et al., « Chitosan as biomaterial in drug delivery and tissue engineering », in Int. J. Biol. Macromol., avril 2018, 110, 97-109.