La tradipratique au Sénégal, un autre regard sur la dentisterie
Publié le 5 mars 2024.
Observer la pratique dentaire hors de nos frontières peut offrir des perspectives. C’est ce qu’Estelle Sarr, lauréate du prix de thèse ADF Dentsply-Sirona 2023 dans la catégorie Sujets de sciences humaines, a exposé à l’occasion du Congrès de l’ADF. Son itinéraire et son sujet de thèse intitulé « Parcours thérapeutique d’un patient en odontologie traditionnelle – cas du Sénégal » sont intimement liés.
Pouvez-vous nous expliquer le choix de votre sujet de thèse ?
Estelle Sarr : J'avais assisté à une conférence à Nantes sur les arts de guérir en Afrique, animée par un professeur de la faculté dentaire de Nantes et un dentiste burkinabé, le Dr Sanou. Le sujet m'intriguait. Quelques années plus tard, lors d'un stage dans un cabinet dentaire au Sénégal et en fréquentant la faculté dentaire, j'ai approfondi mes connaissances. Bien que connaissant déjà la médecine sénégalaise en raison de mes origines, j'ignorais l'existence de pratiques spécifiques en dentisterie. Cette découverte a suscité ma curiosité. Pendant mon stage, j'ai entrepris des recherches à la bibliothèque de l'université de Dakar, où j'ai trouvé des thèses, notamment sur des plantes aux propriétés antalgiques qui m'étaient inconnues. C'est à ce moment-là que mon sujet a pris forme.
Comment avez-vous travaillé votre sujet ?
E.S. : Mon travail est principalement bibliographique. J'ai examiné de nombreuses thèses et ouvrages traitant des plantes à usage traditionnel. Lors de mes recherches sur le terrain, j'ai eu l'opportunité de rencontrer des guérisseurs qui transmettent leurs connaissances exclusivement de manière orale, et j'ai compilé ces informations. J'ai travaillé de manière autonome avant de présenter mon travail à mon directeur de thèse, le Pr Bernard Giumelli.
Que vous apporte ce prix ?
E.S. : Ce prix donne une visibilité à ma thèse, la valorise et peut susciter l'intérêt d'autres personnes. Mon sujet met particulièrement en avant la capacité à relever le défi des déserts médicaux dans un contexte autre que la France, dans un pays qui manque de chirurgiens-dentistes et qui positionne le tradipraticien comme un acteur central dans la guérison des patients. Le tradipraticien bénéficie de la confiance de sa communauté, son approche thérapeutique visant à rétablir l'équilibre du patient en recourant à des pratiques magico-religieuses, intégrant des procédures de divination et l'utilisation de remèdes phytothérapiques. Mon sujet souligne également, par extrapolation, le manque d'investissement dans la recherche en Afrique pour fournir des preuves justifiant l'utilisation des soins traditionnels et pour développer le système de santé.
Quels sont vos projets pour la suite ?
E.S. : J'ai un projet au Sénégal : créer des centres regroupant des praticiens afin de favoriser l'accès aux soins dans des zones reculées. Actuellement, seuls Dakar et la côte disposent de chirurgiens-dentistes. Par ailleurs, je souhaite élaborer un guide répertoriant toutes les plantes traditionnelles mentionnées dans ma thèse. Ce guide serait destiné aux patients qui ont souvent recours à l'automédication, alors que l'utilisation incorrecte de certaines plantes peut être très dangereuse. L'objectif de ce guide serait de démocratiser les connaissances de ma thèse et de faciliter l'accès à la médecine traditionnelle tout en évitant les risques liés aux charlatans.