Les honoraires ont aussi leur histoire

Publié le 11 mars 2024

Le remboursement des soins dentaires est né avec la Sécurité sociale en 1945. Dès lors, les évolutions sur la tarification et leur prise en charge n’ont cessé d’évoluer dans des négociations conventionnelles définissant les droits et obligations de chacune des parties. Retour sur ces 8 décennies avec Catherine Mojaïsky, conseillère auprès du président des CDF.

Naissance de la prise en charge des soins dentaires

La prise en charge des soins dentaires est définie par la loi et des conventions, actant les accords entre des financeurs et les représentants de la profession afin d'améliorer la prise en charge des patients. Ces conventions solvabilisent donc les soins et apportent des avantages sociaux aux praticiens conventionnés (prise en charge par l’assurance maladie de cotisations maladie et retraite). Les premières conventions datent de 1960. Elles sont négociées tous les 5 ans ou tacitement reconduites. Initialement, elles étaient départementales, avec des accords locaux sur les tarifs des actes de soins, avant de devenir nationales. "Avant cela, les tarifs étaient entièrement libres, précise Catherine Mojaïsky". Les professionnels de santé négociaient avec leurs patients ou avaient des grilles de tarif bien établies, il n'y avait aucune contrepartie de prise en charge, sauf de rares accords mutualistes".

Première convention, premier décret 
avant une longue liste

En 1960, la première convention dentaire est provisoire, suivie d’un premier décret* donnant naissance aux relations entre les professionnels de santé et la sécurité sociale.
• Elle fixe les plafonds des tarifs médicaux par arrêté interministériel.
• Encadre les modalités de dépassement des tarifs.
• Une commission paritaire caisses et syndicats est créée sur la question de la qualité des soins.

La valse des conventions

Les premières conventions nationales sont signées à partir de 1971, avec les organisations syndicales -principalement la CNSD1 entre 1978 et 1994, et régulièrement annulées par le Conseil d'État. Durant cette période chaotique, "les lettres clés permettant de coter des actes dans la NGAP (Nomenclature Générale des Actes Professionnels) ont été créées et revalorisées régulièrement pour augmenter la valeur des actes. Ces conventions étaient extrêmement fragiles puisqu’il suffisait qu'une organisation fasse un recours devant le Conseil d'État qui très souvent annulait pour vice de forme", indique Catherine Mojaïsky. La convention de 1997 se distingue. Elle introduit la notion de prévention dans le domaine bucco-dentaire, avec la création du "bilan bucco-dentaire" annuel entre 15 et 18 ans, aujourd’hui devenu" M’T’Dents". "C'est vraiment une nouveauté, quelque chose qui n'existait que dans la profession dentaire puisque dans aucune autre profession, il y avait cette notion d'examen de prévention", précise le Dr Mojaïsky.

Les conventions rapidement obsolètes

L’écart se creuse entre le tarif du soin et son coût réel. Au fur et à mesure du temps, "il y a eu un décalage important entre le tarif des soins imposé par les textes conventionnels et la réalité des coûts dans les cabinets dentaires". Ainsi, dans les années 80 différents arrêtés ministériels ont supprimé les plafonds tarifaires d'abord sur l'orthodontie, puis sur les couronnes dentaires. Le déséquilibre s’est accentué d’autant plus qu’ "au fil du temps, il y avait les actes dentaires à tarif opposable, majoritaires dans l’activité, (soins de caries, dévitalisation les dents, chirurgie) et le praticien qui ne faisait que ces actes-là ne pouvait pas en vivre. Alors que les actes de prothèse ou d'orthodontie, qui eux étaient à des tarifs libres, permettaient d'équilibrer le fonctionnement des cabinets dentaires. Cette dichotomie entre l'activité soins et l'activité prothèse a conduit à la première tentative de rééquilibrage en 1997. Les chirurgiens-dentistes acceptent de plafonner les tarifs de certaines prothèses avec en contrepartie, les revalorisations sur des actes de soins". La volonté de rendre plus équilibrée l’activité de tous les chirurgiens-dentistes à partir de 1997 est lancée, mais c’était sans compter "l'arrêté du ministre de la Santé de l’époque, Martine Aubry, qui décide de bloquer les accords le 27 juin 1998, parce que les dépenses de santé ont été plus importantes que ce qui était prévu. Toute la convention de 1997 est remise en cause. La convention n'est pas abrogée, mais les revalorisations et les contreparties des plafonds qui devaient se faire de façon progressive ont été annulées. Ce qui évidemment a créé une grande colère de la profession".

L’an 2000 des soins dentaires pour tous les patients à bas revenus

Le 1er janvier 2000 marque la mise en place de la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire) afin de supprimer le reste à charge pour les patients les plus défavorisés. "Cette mesure a été violente pour notre profession, en particulier pour les praticiens exerçant dans des zones économiquement défavorisées, puisqu’ils ont dû baisser fortement la valeur de leurs actes. La loi supérieure à la convention, met en place des plafonds tarifaires sur les prothèses et l’orthodontie et introduit des sanctions en cas de refus de soins aux bénéficiaires de la CMU-C". Si l'accès aux soins de ces patients sans reste à charge a été fortement amélioré, "une dichotomie se créée entre ceux qui bénéficient de la CMU et les autres patients qui continuent à être peu pris en charge dans la majorité des contrats complémentaire santé souscrits. Les demandes d'amélioration des tarifs CMU complémentaire échouent". La CNSD sortie du dialogue conventionnel suite à l’arrêté Aubry de 1998, plusieurs avenants sont signés entre l’UJCD2 et l’Assurance maladie, avec la création de l’inlaycore, la télétransmission obligatoire, la formation continue conventionnelle. La CMU-C sera progressivement élargie aux ACS (Aide à l’acquisition d’une complémentaire santé) puis verra la fusion en 2017 en CSS (Complémentaire santé solidaire).

Montagnes russes
vers le " 100% santé "

"Le séisme de 1998 -lié à l'arrêté Aubry- a été un moment fort dans les relations conventionnelles. La profession aura par la suite une grande méfiance vis à vis des politiques" exprime le Dr Mojaïsky. Même si aujourd’hui les règles ont changé. Depuis août 2004, la loi de réforme de l'Assurance maladie modifie complètement les règles de relations conventionnelles. Un ministre ne peut plus remettre en cause un texte conventionnel -sauf cas précis-, la négociation conventionnelle est encadrée par des règles de représentativité, la création d'un droit d'opposition et d'une procédure d'arbitrage en cas d'échec d'une négociation. Il ne peut donc plus y avoir de vide conventionnel, ce qui arrivait avec les différentes annulations par le Conseil d'État. Les conventions sont sécurisées et l’une est remplacée par une autre. "Dans le cas où une négociation n'aboutit pas, un arbitre désigné par le gouvernement écrit la convention. C’est un règlement arbitral". 
En 2006, une nouvelle convention prend en compte la volonté gouvernementale de réserver la prise en charge de la cotisation maladie aux seuls honoraires issus des actes à tarifs opposables. En contrepartie de cette hausse de cotisation, des revalorisations des actes de soins conservateurs sont obtenues et une modulation par la création du taux URSSAF permet le maintien de la prise en charge de cotisation sur les honoraires de prothèse CMU-C.

En 2012-2013 deux avenants conventionnels actent le passage de la NGAP en CCAM de tous les actes dentaires, à l’exception de l’orthodontie. Un nouveau devis conventionnel met en oeuvre les évolutions législatives visant à améliorer l’information du patient. "Ces avenants améliorent aussi la rémunération de la permanence des soins, et créent un disposition démographique incitatif". 
En 2016-2017, dans un contexte d’élections présidentielles, la loi de financement de la Sécurité sociale 2017, remet en cause la convention 2006 pourtant tacitement reconduite, en autorisant un Règlement arbitral d’exception en cas d’échec de la négociation en cours. Le chantage étatique pousse logiquement les syndicats à refuser l’avenant proposé. "Le règlement arbitral de 2017 a inscrit la mise en place d’un plafond sur la toute la prothèse fixe, avec une clause de sauvegarde qui en cas de dépassement des objectifs de dépenses inscrites bloque automatiquement les revalorisations prévues et diminue les plafonds. Il n’y avait aucune amélioration de la prise en charge des prothèses, donc aucune amélioration de l’accès aux soins ! Juste une baisse des coûts pour les complémentaires santé", souligne Catherine Mojaïsky. 
Après l’élection présidentielle, les négociations pour sortir du Règlement arbitral ont abouti à la Convention de 2018. "Elle a permis d’obtenir des revalorisations importantes des actes à tarifs opposables en confirmant le principe des plafonds sur certaines prothèses. Mais, contrairement au Règlement arbitral, l’instauration du 100% santé a permis une prise en charge intégrale d’une partie des actes de prothèse, entrainant une amélioration importante de l’accès aux soins prothétiques pour les patients. Ces évolutions ont été en majorité financées par les complémentaires santé".

La particularité des patients
à soins spécifiques

Nouveauté importante de la convention de 2018 : des majorations sur la prise en charge des patients handicapés. "Un supplément aux actes sur ces patients est une reconnaissance d’une prise en charge nécessitant des dispositions spécifiques. C’est également la première fois qu’une approche populationnelle est inscrite pour les patients diabétiques plus à risque d'avoir des maladies parodontales ou pour les patients sous anticoagulants pour lesquels les risques d’hémorragie sont plus forts", indique Catherine Mojaïsky.

2023, création d'une génération
sans carie

La dernière convention signée le 21 juillet 2023 par Les CDF et la FSDL est appliquée depuis le 25 février 2024. "Les plafonds sur les prothèses perdurent et l’approche populationnelle est renforcée". La génération zéro carie est créée avec un examen bucco-dentaire (EBD) tous les ans sur la population des 3 à 24 ans avec pour vocation d’étendre la tranche d’âge chaque année (3 à 25 ans en 2025, 3 à 26 ans en 2026 etc.) en suivant cette population tout au long de sa vie dans l’objectif d'améliorer sa santé bucco-dentaire. "Dès février 2024, une majoration de 30% sur les tarifs des soins de conservation des dents de cette génération est instaurée. C’est complètement innovant, mais bien dans la logique de prévention lancée en 1997". Cette convention introduit de nouveaux actes prophylactiques moins invasifs afin de préserver le plus possible la dent. Pour toute la population, les actes de soins seront revalorisés de 4% en 2025. Et les plafonds des actes du panier RAC 0 comme du panier modéré sont revalorisés de 3 % en 2026. Les honoraires du panier CSS3 sont progressivement alignés sur ceux du panier RAC 0. L’approche territoriale d’amélioration de l’accès aux soins est aussi précisée avec un nouveau zonage révisant celui de 2012, et qui tient désormais compte de critères populationnels : populations en ALD et en CSS aux besoins de soins plus élevés modulant l’installation dans les zones surdenses et augmentant les aides à l’installation dans de très nombreux territoires à hauteur de 50 000 €. 

* Décret n°60-451 du 12 mai 1960, modifié par le décret n°66-21 du 7 janvier 1966.
¹ CNSD devient Les CDF en 2018.
² UJCD devient l’UD en 2016.
³ CSS = complémentaire santé solidaire.

Sources :
Musée national de l’Assurance maladie 
Les CDF - histoire des conventions 

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