Moraliser, oui. Entraver la formation
et la confraternité non !
Corriger une perversion par une exagération n’est jamais une solution.
S’il est évident qu’il est essentiel de préserver l’indépendance de la médecine et la dentisterie et éviter toute influence qui viendrait dévoyer nos pratiques, il n’en demeure pas moins vrai que cela doit se faire avec bon sens. Or, en voulant justement sanctionner celles et ceux qui sortent des clous, la loi anti-cadeaux sort d’un cadre mesuré et adapté à notre profession.
Pour ma part, je vois deux menaces dans l’esprit actuel de la loi : elle entrave la formation des praticiens, actuels et futurs, et elle menace l’esprit de confraternité qui est l’un des grands marqueurs de nos professions.
Avant de développer ces deux points, je tiens à dire combien la mise en œuvre d’une loi comme celle-ci est bienvenue et n’appelle aucune réserve. Si nous devions nous en convaincre, je veux rappeler les résultats de l’étude publiée en novembre 2020 dans Annals of Internal Medicine. Menée par des chercheurs du Memorial Sloan Kettering Cancer Center, elle analyse les prescriptions faites par les médecins. Elle démontre que ceux qui perçoivent de l’argent d’un laboratoire agissent, consciemment ou non, en sa faveur. L’article constate également que les prestations ou invitations payées par des industriels entraînent, chez les praticiens, la prescription de médicaments plus chers, moins efficaces ou aux effets secondaires plus sévères. De tout cela, nous voulons nous affranchir. Sans aucune ambiguïté.
Sans ambiguïté mais pas n’importe comment !
Si nous sommes des professionnels de santé parmi d’autres, nous ne sommes pas des soignants comme les autres. Notre métier s’exerce par la pratique, par la répétition de gestes cliniques quotidiens, par la manipulation constante et régulière de matériels, des dispositifs et des équipements médicaux. Et ceci ne peut pas se faire sans une relation partenariale et saine avec les industriels. Il est difficile, voire totalement impossible, de se former de façon indépendante. Les industriels ne sont pas que des fournisseurs, ils sont aussi des vecteurs de progrès. Ils font avancer notre exercice, nos pratiques. Suspecter et donc empêcher toutes relations avec eux nie l’importance de leurs apports dans l’amélioration continue de nos traitements.
Nous devons le dire et le faire entendre :
parce qu’elles sont techniques, pratiques, nos formations, initiale et continue, ont besoin de l’appui des industriels. Or, leur présence n’aboutit pas à la vente de notre âme ou de notre indépendance scientifique et professionnelle.
Le Congrès de l’ADF en est un parfait exemple. Si nous accueillons des industriels parmi nos exposants, ils n’ont aucune influence sur nos programmes de formation. Nous obligeons depuis longtemps nos formateurs à déclarer leurs éventuels liens d’intérêt avec l’industrie. Nous n’avons pas attendu la loi pour cela. Oublier ceci et vouloir contraindre à tout prix, c’est vouloir mettre fin à la bonne intelligence.
Savez-vous que 90% des exposants présents au prochain Congrès de l’ADF devront déclarer la convention de location de leur stand parce que son coût dépassera les 2 000 € ? Bizarrement, cette convention à remplir n’existe pas !! Chacun doit se débrouiller pour l’établir.
À l’ADF, nous avons ainsi créé et rédigé une convention type avec l’appui d’avocats spécialistes et nous allons la proposer gratuitement à nos associations membres afin qu’elles puissent s’y référer pour leurs propres événements.
La loi anti-cadeaux donne l’impression que l’industrie ne peut être que nocive alors qu’elle nous est utile et nécessaire.
Jeter l’opprobre n’est pas une bonne manière de faire et elle aboutirait à des contradictions qui pourraient devenir des absurdités. Prenons l’exemple du marquage CE nécessaire à la mise sur le marché européen d’un produit ou d’un dispositif. Par le passé, une fois le label CE obtenu, il n’y avait pas de contrôles sur la fiabilité et l’efficacité annoncées.. Maintenant, ils devront exister. Or, comment les industriels pourront-ils accumuler les éléments de preuve pour justifier de la bonne application de leurs solutions si la loi suspecte toute relation entre eux et les chirurgiens-dentistes ? Nous devons apporter des nuances sans ajouter de complexités.
Lorsque j’étais étudiant au début de ce millénaire, je devais, comme mes camarades, acheter entre 1 500 € et 2 000 € de matériel auprès des industriels car notre faculté n’avait pas les moyens de nous fournir ces matériels. Si le manque de moyens ne date pas d’hier, il s’est amplifié. Le problème de financement des facultés persiste et le coût technologique des équipements a augmenté ! Les médecins ne connaissent pas ce problème. Notre coût de formation n’a rien à voir avec ceux d’un généraliste ou d’un pédiatre. Dès lors, pourquoi n’est-il pas tenu compte de nos spécificités ?
Si l’approche de la loi anti-cadeaux est dommageable pour la formation professionnelle, elle peut très vite être dramatique pour la formation des nouvelles générations.
Si, par le passé, l’industrie s’est parfois substituée à la formation des futurs praticiens en prenant la main dans le contenu de certains TP, elle ne peut pas être tenue à l’écart de nos amphithéâtres et de nos salles de formation. Nos jeunes confrères ne peuvent pas être pénalisés à cause des écarts de quelques “boomers” !
Pour conclure, je voudrais formuler une autre réserve sur l’esprit de la loi. Selon moi, sans le vouloir, elle menace la relation confraternelle qui nous lie entre professionnels de santé. L’approche ultra-restrictive du décret d’application qui est entré en vigueur depuis le 1er octobre dernier rend, en effet, impossible l’invitation à déjeuner entre confrères. Au-delà de 30€, en effet, une déclaration s’impose.