Que faire pour aller dans le bon sens ?
Il existe dans le secteur de la santé de plus en plus d’innovations et initiatives pour réduire l’empreinte écologique des soins et maîtriser les risques écologiques, que ce soit pour le climat, la biodiversité, l’épuisement des ressources ou encore les pollutions. Il s’agit notamment d’actions pour réduire les consommations d’énergie, le gaspillage ou encore la gestion des déchets et leur recyclage. Pour autant, celles-ci resteront insuffisantes tant qu’elles ne seront pas accompagnées de stratégies de soutenabilité visant à transformer la façon dont l’offre de soins est proposée et pensée. Le point avec le Dr Alice Baras.
Quelle est la stratégie annoncée en France pour réduire l’empreinte environnementale du secteur de la santé ?
Alice Baras : Depuis le 22 mai 2023, la planification écologique du système de santé en France a une feuille de route. Un Comité de pilotage interministériel, présidé par la Ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé et réunissant notamment la CNAM, la HAS ou encore plusieurs ARS, est chargé de la piloter. Un de ses objectifs est de valoriser et soutenir les initiatives déjà mises en place sur le terrain. Elle dresse sept grands axes d’actions pour mettre en œuvre la transition écologique du secteur de la santé.
Axe 1 : Accentuer la rénovation et la transformation énergétique des établissements du secteur.
Axe 2 : Accélérer la transition vers des achats durables, notamment ceux des produits de santé.
Axe 3 : Transformer et accompagner les pratiques vers les soins écoresponsables dès 2023. Le soin « écoresponsable » est un acte de soin qui, à qualité et sécurité égales, présente un impact moindre sur l’environnement, il inclut la notion de pertinence des soins.
Axe 4 : Accélérer la réduction des déchets et leur valorisation d’ici 2030 et optimiser le périmètre DASRI.
Axe 5 : Former et sensibiliser tous les professionnels et acteurs de santé à l’urgence écologique, aux enjeux santé-environnement, à l’écoconception des soins et soutenir des projets de recherche.
Axe 6 : Accélérer la transition vers des transports et des schémas de mobilité à faibles et très faibles émissions d’ici 2030.
Axe 7 : Élaborer une feuille de route pour maîtriser l’impact du numérique en santé.
Les engagements pris autour de ces thématiques seront insérés dans une convention de planification écologique à l’automne 2023.
La prise de conscience semble tardive. Les mesures annoncées seront-elles suffisantes ?
A.B. : Avoir une feuille de route et un pilote (le Comité de pilotage interministériel) sont très précieux pour orchestrer, planifier efficacement un projet aussi systémique et aussi urgent, tant en terme de risque écologique que de risque sanitaire.
L’objectif annoncé par le gouvernement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5% par an s’inscrit dans les engagements de l’Accord de Paris de 2015 pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Les experts annoncent que cette hausse de 1,5° C sera probablement dépassée d’ici 2035. Donc oui, il est tard, mais oui aussi il n’est jamais trop tard pour tout mettre en œuvre et limiter cette hausse le plus possible, « chaque dixième de degré compte » quand on sait le lien entre climat et santé et les enjeux pour les populations les plus à risque, enfants, femmes enceintes, populations précaires notamment. Une réduction de 5% des émissions de gaz à effet de serre est ce qui a été réalisé lors de la crise Covid et la période de confinement. C’est dire l’ampleur de la tâche qui nous attend. Il nous faut un plan et des actions ambitieuses. Les seules actions individuelles, à l’échelle d’un professionnel de santé ou des structures ne suffiront pas, c’est tout le secteur et tous ses acteurs qui ont à s’emparer du défi. Le développement de la formation, la mise à disposition d’outils concrets et de référentiels d’évaluation des pratiques assurant qualité, sécurité et maitrise des impacts écologiques de soins, une veille et l’accès à des informations sourcées pour éviter les fausses bonnes idées, le greenwashing ou les conflits d’intérêt, le manque de transparence sur l’impact des produits de santé sont nécessaires. Le modèle économique de la santé doit changer.
La prévention peut-elle être un levier de la démarche écoresponsable ?
A.B. : L’impact carbone du système de santé a été estimé récemment à hauteur de 8% des émissions de gaz à effet de serre nationales par le think tank The Shift Project, dont près de 50% provenant de l’achat des produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux. Une des conclusions du rapport est que les seules mesures de décarbonation ne suffiront pas à atteindre l’objectif neutralité carbone. Il est nécessaire que dans le même temps, le système de santé bascule du curatif au préventif s’appuyant sur les principes de la salutogénèse. C’est une approche plus positive de la santé : créer et développer des environnements de vie favorables à la santé et non au-delà de la seule gestion des risques et des soins. Opérer un virage vers la prévention et la promotion de la santé est incontournable.
L’écoresponsabilité,
c’est de la santé !
En tant que professionnel de santé, nous devons appréhender cet état de fait : il n’y a pas de santé dans un environnement dégradé. Nous avons un rôle à jouer dans le changement de paradigme à opérer, nous sommes légitimes à communiquer auprès des patients et de la population sur ce qui fait notre santé. Ce peut être par exemple, transmettre les messages de prévention sur les principes de l’alimentation durable. Ce que je mange a un impact sur ma santé, la santé des animaux, celle des environnements naturels des générations futures. Une alimentation plus locale, plus végétale, de saison, moins transformée, moins sucrée - qui rappelons-le, est la 1ère cause de la carie – c’est mieux pour tout le monde !
Comment intégrer ces pratiques écoresponsables facilement au sein des cabinets ?
A.B. : Entreprendre sa transition écologique et rester performant est à la portée de tous et toutes, quel que soit le contexte du cabinet dentaire. Les pistes d’action sont multiples, du plus simple écogeste pour réduire le gaspillage de l’eau par exemple à la conception du bâti en passant par la sobriété numérique ou chimique, la mobilité, le développement de la prévention et la promotion de la santé. Celles-ci ont été présentées au sein du dossier ADF Démarche écoresponsable au cabinet dentaire*** publié en 2021. L’objectif global n’est pas un utopiste « cabinet zéro impact » mais une réduction de l’empreinte écologique s’inscrivant dans la durée avec une équipe dentaire motivée !
Quelle est la clé de la réussite pour réduire significativement l’impact écologique du cabinet dentaire ?
A.B. : L’engagement de tous les acteurs de santé ! Agir et avancer ensemble pour la santé.
Retrouvez tous les conseils, pistes d'action dans le guide « Démarche écoresponsable au cabinet dentaire, grille d’aide à la mise en œuvre : enjeux, outils et pistes de réflexion », édité par l’ADF et disponible ici.
"Soins écoresponsables : ensemble, à nous d’agir !"
Février 2024 - La Direction générale de l'offre de soin (DGOS), l'Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP) et l'Assurance maladie lancent une campagne de valorisation des initiatives de terrain.
La promotion de soins écoresponsables est un axe central de la planification écologique du système de santé. Pour soutenir l’engagement des acteurs de terrain, un questionnaire national est ouvert à tous et une webconférence sera diffusée le 13 juin.
+ d'infos sur le site de l'ANAP
*Feuille de route sur la « Planification écologique pour le système de santé », Ministère de la Santé, mai 2023.
**Rapport du GIEC, mars 2023
***Dossier ADF, Démarche écoresponsable au cabinet dentaire, 2021,
Source : Rapport The shift project.