Covid-19 : entretien avec le professeur Yazdan Yazdanpanah
Publié le 29 septembre 2020.
Chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Bichat et membre du Conseil scientifique d'Emmanuel Macron, Yazdan Yazdanpanah est en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Il nous en dit plus sur la situation et nous explique comment la clinique et la recherche interagissent dans ce contexte de crise.
Que savons-nous aujourd’hui du Covid-19 ?
Au départ, on pensait que seules les personnes symptomatiques transmettaient la maladie, parce que c’était le cas avec d’autres coronavirus comme le Sras et le Mers. Aujourd’hui, on sait que plus de 50% des gens transmettent la maladie avant d’être symptomatiques. Et ça a complètement changé la pratique. On disait en effet que la population générale ne devait pas porter de masques, seulement les personnes symptomatiques. C’est parce qu’on ne savait pas ça.
Il faut savoir aussi que, dans 99% des cas, le Covid-19 n’est pas une maladie mortelle.
Le taux de mortalité a été revu à la baisse, il est désormais de l’ordre de 5/1000 quelles que soient les formes, asymptomatiques ou symptomatiques. Et, parmi les malades symptomatiques, 85% à 90% ne sont pas hospitalisés. Ce n’est donc pas une maladie grave dans la majorité des cas, même si ça reste plus grave que la grippe. Enfin, on a constaté plusieurs facteurs de gravité : l’âge, la présence de comorbidités telles que le diabète et l’obésité ainsi que le sexe. Les hommes ont en effet des formes plus graves que les femmes.
Dans quel contexte les recherches française et mondiale ont-elles été menées ?
On a appuyé pour que ça soit une recherche collaborative parce que c’est le plus efficace. Donc, début février, l’OMS a fait une grande réunion à Genève afin de définir les priorités de recherche. Et les financeurs ont commencé à se positionner sur les thématiques mises en lumière. Nous avons essayé qu’ils financent des choses complémentaires entre les différents pays mais ça n’a pas toujours fonctionné. Ensuite, les sciences se sont mises en marche.
Quels sont les principaux objectifs de la recherche scientifique et médicale sur cette maladie ?
Nous avons neuf priorités, comme par exemple connaître l’histoire naturelle de la maladie, étudier la façon dont elle se transmet, trouver des traitements ou mettre en place un vaccin. Et aussi tout un volet sur les sciences sociales pour essayer de comprendre comment améliorer l’acceptabilité des mesures de prévention et des traitements.
Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Bichat et membre du Conseil scientifique d'Emmanuel Macron
Comment la clinique et la recherche s’articulent-elles et se nourrissent-elles l’une l’autre ?
Elles sont étroitement liées, surtout en période d’épidémie. Il faut savoir que la première recherche est d’ordre clinique : elle est réalisée par le clinicien qui prend en charge le patient. Après, ce n’est pas toujours facile de faire de la recherche compte-tenu de la pression pour soigner les malades et du nombre de patients. Mais c’est très important. Au sein de l’hôpital, il faut aussi mettre en place des protocoles et inclure les malades dans les essais cliniques pour pouvoir évaluer les traitements qu’on donne et comprendre l’histoire naturelle de la maladie. Et, chaque fois que l’on détecte un cluster, il faut réaliser des études épidémiologiques pour comprendre la transmission.
Vous estimez que les organisations partenaires ont un vrai rôle à jouer dans l’accompagnement des populations et des professionnels de santé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
D’une manière générale, les partenaires, que ce soit des ONG, des associations, etc. ont un rôle très important. Ils permettent, d’une part, aux institutions de recherche de travailler et, d’autre part, de préparer l’implémentation des mesures que l’on identifie. Enfin, ils font remonter à la communauté médicale les attentes des populations.
Aujourd’hui, vous chapeautez l’essai international Solidarity. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit et quels en sont les enjeux ?
Solidarity visait d’abord à mettre en place une étude internationale pour évaluer des traitements. On y a participé, avec l’objectif de mettre en avant la spécificité de l’Europe. À l’intérieur de Solidarity, on a donc créé l’étude Discovery. Elle fait partie de Solidarity, mais avec plus de spécificités parce qu’on est en Europe et qu’on peut faire des choses beaucoup plus détaillées. À présent, Discovery a inclus plus de 850 patients, en France, mais aussi au Luxembourg, en Autriche ou encore en Belgique. Cette étude a montré que certains traitements ne marchaient pas chez les patients hospitalisés, comme l’hydroxychloroquine, le kalétra et le kalétra interféron. Donc on a déjà écarté trois stratégies. Nous continuons à évaluer d’autres traitements comme Remdisvir dans Discovery mais aussi les immunomodulateurs comme les anti-IL6 dans d’autres protocoles. Il s’agit là de médicaments repositionnés.
Quelle est la prochaine étape ?
Nous devons à présent évaluer des traitements spécifiques, comme des anticorps monoclonaux ou des antiviraux spécifiques, et aussi évaluer des combinaisons. Beaucoup de vaccins sont par ailleurs à l’étude, dont l’AstraZeneca qui est en phase 3. Il est en train d’être évalué dans un certain nombre de pays où l’épidémie sévit comme en Afrique du Sud par exemple.
Pour fêter ses 20 ans, l'Institut français pour la Recherche odontologique (IFRO) avait prévu un conférencier de marque pour échanger, pendant le Congrès de l’ADF, avec notre communauté sur la place de la recherche dans le combat mené contre la COVD-19. Yazdan Yazdanpanah, épidémiologiste, spécialiste de santé publique et actuellement l'un des acteurs clés de la gestion de la crise COVID-19 avait alors accepté notre invitation. Chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Bichat (AP-HP), il est membre des deux instances nommées par le Gouvernement pour éclairer ses décisions sur la COVID-19 (conseil scientifique et comité analyse, recherche et expertise, CARE). Ce spécialiste du VIH et des maladies infectieuses émergentes est, par ailleurs, depuis 2014, le coordinateur du consortium de l'Inserm REACTing, qui a pour mission de préparer et coordonner la recherche française pendant les épidémies. Il a accepté de nous donner une interview et interviendra l'an prochain dans le cadre du Congrès ADF 2021.