Sur la pente glissante
Le burn-out, ou épuisement professionnel en français, a été décrit à partir des années 1970 par un psychiatre américain, Herbert Freudenberger, et s’est répandu pour parler de stress chronique mettant en péril à moyen terme l’intégrité psychique et physique de la personne. En France, il n’est pas classé comme maladie.
L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) le caractérise par les trois dimensions suivantes :
- - l’épuisement émotionnel : sentiment d’être vidé de ses ressources émotionnelles ;
- - la dépersonnalisation ou le cynisme : insensibilité au monde environnant, déshumanisation de la relation à l’autre (les usagers, patients ou confrères deviennent des objets), vision négative des autres et du travail ;
- - le sentiment de non-accomplissement personnel au travail : impression de ne pas parvenir à répondre correctement aux attentes de l’entourage, dépréciation de ses résultats, sentiment de gâchis.
La notion de burn-out est le plus souvent liée au travail. Le burn-out prend un caractère insidieux et progressif. C’est une véritable érosion des ressources physiques et psychiques qui peut être accentuée par un manque de reconnaissance ou de satisfaction personnelle.
Les signes du burn out
Le syndrome d’épuisement professionnel (SEP) se caractérise par une fatigue importante et inhabituelle, sans amélioration après une période de repos ou de vacances. Le sentiment d’être « vidé », d’être incapable de recevoir une émotion, ou d’être empathique signe une dégradation de l’état psychique et physique. Les relations avec les personnes de son entourage se détériorent menant le professionnel de santé a des crises d’énervement, de colère, des difficultés de concentration, un manque de motivation avec un refus d’agir ou des oublis de répondre aux demandes de ses patients. La déshumanisation de la relation médicale est au cœur du syndrome. Le praticien se détache de ses patients jusqu’à se sentir inefficace, incompétent, se dévalorisant lui-même. À cet état émotionnel et physique spécifique peut s’ajouter une dépression qui est toujours synonyme de souffrance. Par la suite, le manque de rigueur, l’absentéisme, l’abandon de travail sont les conséquences de ces difficultés. En 2013, une étude finlandaise* a établi que l'épuisement professionnel est contagieux, qu’il peut se transmettre entre le chirurgien-dentiste et son assistant(e), notamment lorsque la relation entre les deux est cordiale et basée sur la confiance.
Quelles sont les raisons évoquées par les praticiens ?
Les deux facteurs de stress les plus importants dans la vie quotidienne évoqués par les répondants à l’enquête conduite par le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes** sont les complexités techniques et les relations avec les patients. Parmi les répondants, 66 % des praticiens disent entretenir de mauvaises relations avec les services administratifs (organismes payeurs, juridiques et sociaux). De plus, très souvent après une journée où se sont enchaînées les consultations et les soins, les praticiens doivent gérer l’administratif, les ressources humaines, la gestion des correspondants, etc. Avec un exercice libéral, les contraintes médicales, déontologiques, administratives, juridiques et économiques sont des sources de stress, auxquelles s’ajoutent les nécessaires évolutions techniques, informatiques, etc. Enfin, l’enquête révèle que le rythme de travail et la multiplication des rôles (soignant, technicien, gestionnaire du personnel…) ont un impact négatif sur la performance professionnelle, la vie sociale et la vie familiale. De plus, le chirurgien-dentiste a pour particularité d’avoir une mauvaise image dans l’esprit collectif et cette dévalorisation peut devenir un facteur supplémentaire de mal-être lorsque le processus d’épuisement s’enclenche.
"Il est établi que mal travailler est un facteur majeur d’épuisement, beaucoup plus que la surcharge de travail."
Les autres raisons de l’épuisement professionnel
Durant les premières années qui suivent l’installation, le chirurgien-dentiste peut prendre conscience que ses attentes imaginées ne correspondent pas à la réalité. Ce décalage et cette impression de ne pas être préparé aux différents aspects du métier (juridique, assurance, financement, management du cabinet, recrutement et encadrement de l’équipe dentaire…) entraine de la frustration, un sentiment d’incapacité qui aboutit à une baisse d’enthousiasme et de l’épuisement professionnel, remarque Ronald Gorter dans ses études sur le burn-out pour le Centre académique de dentisterie d’Amsterdam aux Pays-Bas***. Le chercheur a également déterminé qu’en milieu de carrière, l’un des facteurs principaux du burn-out est le manque de perspective, d’évolution, avec le sentiment d’être prisonnier de sa pratique****.
S’ajoute aussi l’attitude exigeante, parfois agressive des patients qui induisent mal être et stress chez le soignant. Sans oublier que le chirurgien-dentiste doit faire face à la mise en place nécessaire de nouvelles technologies d'exercice impliquant une réactualisation des compétences, source potentielle de burn-out.
Blouses blanches, idées noires
Lorsque les périodes de repos ne suffisent plus à récupérer de son épuisement et dès les premiers signes persistants de fatigue et de sensibilité émotionnelle, il est alors nécessaire de s’interroger. Que se passe-t-il ? Ai-je amorcé une baisse de forme physique et psychique ? Tout le monde peut être concerné et arriver progressivement au bord d’un gouffre. Être surmené n’est pas une faute, bien au contraire, cette situation est souvent liée au fait de s’être impliqué dans son travail sans « relever la tête ».
Mais le refus de se reconnaitre en difficulté et la persistance dans la surenchère pour des raisons d’amour-propre, d’éthique, de crédibilité, peuvent mener à un point de rupture. Lorsque le stress devient chronique, l’organisme se dérègle non seulement psychologiquement, mais aussi physiologiquement. Le stress chronique peut avoir des conséquences négatives sur le système cardiovasculaire, sur la glycémie, sur le métabolisme… Le risque d’apparition de diabète insulino-dépendant, d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’infarctus, de mort subite s’élève. Les troubles cognitifs apparaissent : dégradation des capacités de concentration, de raisonnement, de mémoire.
Taux de suicide plus important
que dans la population générale
Aucune étude scientifique ne démontre un réel lien de cause à effet entre le burn-out chez les chirurgiens-dentistes et leur suicide. Mais le taux de suicide élevé pour cette profession, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, montre leur souffrance et un passage à l’acte facilité par l’accessibilité aux médicaments et l’absence de traitement de prise en charge ou de prévention.
Sources :
* Crossover of Exhaustion between Dentists and Dental Nurses. Hakanen JJ, Perhoniemi R, Bakker AB. Stress Health J Int Soc Investig Stress, 2013.
** Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes avec la collaboration de l'Académie nationale de chirurgie dentaire, enquête sur 2 378 praticiens répondants, novembre 2017.
*** Outcome of career expectancies and early professional burnout among newly qualified dentists. Gorter RC, Storm MK, te Brake JHM, Kersten HW, Eijkman M a J. Int Dent J. 1 août 2007 ;57(4):279-85.
**** Work place characteristics, work stress and burnout among Dutch dentists. Gorter RC, Albrecht G, Hoogstraten J, Eijkman MAJ. Eur J Oral Sci. 1 déc 1998 ;106(6):999-1005.