La ministre nous répond
« Je crois profondément en la pair-aidance lorsque des soignants sont confrontés à des problématiques de burn-out ».
Ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo précise sa stratégie pour évaluer et solutionner la souffrance des professionnels de santé au travail.
Sur quelles données vous appuyez-vous pour identifier et situer les priorités de votre plan concernant l’amélioration de la santé des professionnels de santé en exercice libéral ?
A.F.L.B. : Les études réalisées sur le sujet de la santé des professionnels de santé sont encore rares et hétérogènes. Mais pour celles qui existent, elles révèlent toutes une fragilité particulière de la santé de ces professionnels, sur le plan de la santé mentale, physique voire même reproductive.
Il faut poursuivre les travaux de recherche et enrichir la documentation sur ce sujet. Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt en novembre 2022 pour soutenir des travaux de recherche afin de sonder les grandes bases de données de manière à comprendre les problèmes spécifiques aux professionnels de santé ciblant trois axes : la santé des femmes professionnelles de santé, la prévalence du cancer, la santé mentale et les addictions.
En tant que professionnelle de santé de formation, je crois profondément en la pair-aidance comme principe d’intervention et tout particulièrement s’agissant de l’accompagnement des soignants lorsqu’ils sont confrontés à des problématiques de burn-out notamment.
Que retenez-vous du colloque de l’association Soins aux professionnels de santé ?
A.F.L.B. : Initialement, l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS) c’est le rassemblement d’un groupe d’experts souhaitant partager et défendre la santé des professionnels de la santé. Cette association avait notamment accompli un travail remarquable pendant la crise sanitaire.
Leurs propositions d’accompagnement du risque psycho-social ont permis d’apporter de véritables réponses. Il faut désormais aller plus loin et identifier les bonnes pratiques. Je regarde notamment avec attention le développement des solutions de type « Bulles des soignants », « Maison des soignants » que j'ai visitée et dont la première a été inaugurée récemment à Paris.
Quel bilan faites-vous de l’Observatoire national des violences en santé qui recueille depuis fin 2020 les signalements de faits de violence dans le cadre de l’exercice libéral et plus spécifiquement sur la population des chirurgiens-dentistes ?
A.F.L.B. : Les chiffres que nous avons sont très préoccupants : l’Observatoire national des violences en santé (ONVS) a recensé 19 328 signalements d’atteintes aux personnes ou aux biens en 2021 et 34 550 professionnels victimes de ces violences.
L’Observatoire travaille en étroite collaboration avec les 7 ordres en santé dont celui des chirurgiens-dentistes, les URPS de chirurgiens-dentistes, ... Ce travail au plus près des professionnels de santé permet de bénéficier du ressenti de tous ceux qui ont subi des violences et c’est précieux.
L’idée que des soignants puissent être victimes de violences est insupportable. La profession même de soignant est basée sur la protection de l’autre, de sa santé… C’est un véritable engagement envers les autres. La lutte contre les violences faites aux soignants fait partie des priorités de ma feuille de route et j'ai lancé le 16 février dernier une concertation sur le sujet, qui est conduit par Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, et Nathalie Nion, cadre supérieure de l’AP-HP.
J’attends leurs conclusions pour le mois de mai dans l'objectif de proposer un plan national de lutte contre ces violences avant l’été.
Le rapport 2022 sur les données 2020-2021 ne fait état d’aucun signalement de la part de la profession dentaire. Que pouvez-vous en conclure ?
A.F.L.B. : En fin d’année 2020, l’ONVS a proposé à titre expérimental, à certains professionnels de santé libéraux, de déclarer les violences qu’ils subissaient. L’objectif était de voir de quelle façon ces soignants se saisiraient du formulaire qui leur était transmis, sans pour autant leur donner accès à un portail dédié en ligne. Cette expérimentation n’était pas ouverte officiellement, il n’était donc pas question d’inclure les résultats de ces travaux au rapport qui porte quant à lui sur les déclarations de l’ensemble des soignants en établissement, quelle que soit leur profession. Mais nous avons justement fait évoluer la plateforme pour que les libéraux puissent y avoir accès !
L’outil a été modifié en janvier 2023 pour que la plateforme dédiée aux signalements de ces violences soit accessible aux libéraux. En quoi pourrait-il être plus approprié à notre profession ?
A.F.L.B. : La nouvelle version de la plateforme de l’ONVS doit proposer un meilleur accompagnement des professionnels de santé libéraux victimes de violences, y compris donc des chirurgiens-dentistes. Elle nous permettra également d’en savoir plus sur les caractéristiques de ces violences et leurs facteurs afin de lutter plus efficacement contre ces actes inadmissibles.
Un formulaire type, prenant en compte toutes les professions de santé libérales, a été mis en place. Nous verrons avec le temps s’il est opportun de différencier les questionnaires selon les professions. C’est un travail que nous allons mener à la fois à très court terme, en travaillant à des mesures, mais aussi sur le long terme grâce à un étroit travail de collaboration avec les professionnels sur le terrain, des campagnes de sensibilisation des citoyens.
La plateforme en ligne désormais accessible aux libéraux pour dénoncer les violences physiques et verbales a-t-elle reçu des appels de membre de l’équipe dentaire ?
A.F.L.B. : Les déclarations réalisées par un chirurgien-dentiste, un assistant ou une secrétaire dentaire sur la plateforme de l’ONVS sont automatiquement adressées à l’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD). Ils se voient ensuite proposer la possibilité de laisser leurs coordonnées afin d’être recontactés par l’ONCD. Pour rappel, lors de l’expérimentation lancée en 2020, 52% des déclarants (toutes professions confondues) ont fait savoir qu’ils avaient besoin d’un accompagnement de leur Ordre ou de leurs représentants. La mise en ligne de la plateforme est encore très récente, nous suivons de près les remontées qui sont constatées et il n'est donc pas déjà possible de tirer des conclusions.
Vous avez annoncé travailler sur une stratégie ministérielle envers les soignants en souffrance et des « réponses structurelles », quelles sont-elles ?
A.F.L.B. : La stratégie est en cours d’élaboration. Les travaux mobilisent l’ensemble des fédérations, les représentants des professionnels de santé et nous associons progressivement l’ensemble des parties prenantes. La première réponse structurelle revient à la définition du périmètre et à la connaissance quantitative et qualitative des problèmes rencontrés. Il faut documenter de manière robuste les différentes situations. La deuxième tient au fait que nous considérons tous les professionnels de santé, quels que soient leur métier et leur lieu et mode d’exercice. La troisième réponse est que nous allons faire le maximum pour les consulter en permanence tout au long des travaux. C’est, j’en suis persuadée, une condition sine qua non de leur adhésion à la démarche. Il ne s’agit pas de faire pour eux, mais de construire avec eux.
Par qui est menée la gestion du sujet de l’épuisement professionnel ? Qu’attendez-vous comme résultat ?
A.F.L.B. : Les travaux exigent un travail transversal, interministériel, non seulement avec le ministère du Travail mais également avec la Transformation et la Fonction publiques ou encore avec les ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous mobilisons l’ensemble des périmètres pour parvenir à décloisonner nos réponses et identifier les mesures efficaces en termes de médecine du travail, de formation et d’enseignement notamment. Il n’y a pas de réponse unique. C’est un travail collégial.
Vous avez annoncé que votre stratégie consiste notamment à « développer une image positive des métiers et restaurer leur attractivité ». Pouvez-vous préciser en quoi l’image de ces métiers leur cause un préjudice ? Et quels sont les moyens et outils désignés pour cette stratégie ?
A.F.L.B. : Les professionnels de santé sont soumis à rude épreuve dans l’exercice de leurs fonctions, et encore davantage depuis la pandémie à la covid-19. C’est un fait, la crise sanitaire a souligné les risques d'épuisement des soignants.
Cette épidémie de souffrance au travail concernerait la moitié des professionnels de santé au cours de leur carrière augmentant la survenue d’accidents de travail en lien avec cet épuisement professionnel. Alors qu’ils épousent leur métier par vocation et s'y engagent sans compter, les risques auxquels ils sont exposés, induisent des conséquences importantes au plan individuel comme collectif. La volonté, pour la nouvelle génération de soignants notamment, d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et engagement professionnel, rentre également largement en compte dans l’attractivité des métiers.
Les travaux en cours doivent nous permettre d’identifier les mesures concrètes pour :
- préserver et promouvoir la santé des professionnels de santé et leur capacité de travail ;
- élaborer une organisation et une culture de travail permettant de développer la santé au travail des professionnels de santé, quel que soit leur lieu d’exercice ;
- et développer une image positive des métiers de la santé et ainsi restaurer leur attractivité.
La formation à la promotion et la prévention de l'épuisement professionnel fait-elle partie de votre stratégie ?
A.F.L.B. : Il est en effet majeur que les professionnels en exercice comme les étudiants inscrits dans les filières des métiers de la santé soient régulièrement sensibilisés et amenés à réfléchir – y compris pour eux-mêmes – à la promotion et la prévention en santé. Trop souvent encore les soignants se soucient peu de leur propre santé. Des réflexions sont en cours avec les fédérations et les représentants des professionnels de santé pour convenir des modalités de consultation des professionnels de santé.
La révision des référentiels de formation des métiers de la santé permet d’intégrer ce volet, un des sujets de réflexion majeurs.
Les organismes français chargés des conditions de travail en entreprise disposent d’outils d’auto-évaluation dans une démarche de prévention des risques psychosociaux, tel le guide créé par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) destiné aux petites entreprises. Ces outils sont-ils accessibles aux chirurgiens-dentistes ?
A.F.L.B. : Beaucoup d’outils et de dispositifs ont été construits, je dirai qu’il y a un foisonnement d’initiatives au plan national comme sur les territoires. Vous évoquez l’Anact qui a en effet créé différents guides et outils d’appui à la Qualité de vie et des conditions de travail (QVT). Il y en a bien d’autres. Je constate qu’ils restent peu visibles et accessibles pour les acteurs de la santé.
Aussi je souhaite que soit proposé un portail numérique qui permettra de recenser l’ensemble des outils pratiques et des recommandations éprouvées qui fourniront cette évolution culturelle pour une meilleure prise en compte de la promotion et de la prévention en santé des soignants.