Mobilisons-nous
pour avoir
un véritable impact
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POURQUOI L’ANTIBIORÉSISTANCE EST-ELLE DEVENUE UNE QUESTION DE SANTÉ PUBLIQUE VOIRE DE SOCIÉTÉ ?
Pr Céline Pulcini : C’est certainement une question scientifique et de santé publique. Mais je ne suis pas certaine que ce soit à ce jour perçu comme une question de société. Pourtant, les chiffres nous confirment que c’est bien le cas. Les données 2015 de l’ECDC2 relèvent 5 500 décès par an liés à des infections à bactéries multi-résistantes en France et 125 000 cas annuels. Au niveau international, l’antibiorésistance s’aggrave assez rapidement. La situation est différente en France où des stratégies ont été déployées depuis plusieurs années avec des améliorations à la clé. Toutefois, pour certaines bactéries et mécanismes de résistance, il existe aussi des aggravations en France.
CE PHÉNOMÈNE EST DONC TRÈS PRÉOCCUPANT
EN FRANCE COMME DANS LE MONDE ?
CP : Oui car certaines bactéries résistent à tous les antibiotiques dont nous disposons. Certaines infections ne peuvent donc plus être traitées. Donc soit le patient guérit tout seul, soit il garde des séquelles, soit la situation peut véritablement s’aggraver. Ces situations d’impasses thérapeutiques arrivent encore relativement rarement en France mais dans certains pays d’Asie, d’Amérique latine, du sud et de l’est de l’Europe, les médecins spécialistes hospitaliers peuvent voir cela tous les jours. La France est plutôt dans la moyenne européenne grâce aux mesures prises depuis 20 ans3. Depuis les années 90, nous avons aussi des plans de lutte contre les infections nosocomiales (plans depuis élargis aux infections associées aux soins). Tout cela participe au recul de l’antibiorésistance. La mobilisation nationale et internationale sur ce sujet est porteuse d’espoir notamment depuis la publication par l’OMS et d’autres organisations internationales du Antimicrobial Resistance global action plan en 2015. Suite à cela, la majorité des pays ont mis en place des plans d’actions nationaux.
CONCRÈTEMENT, QUE SE PASSE-T-IL POUR UN PATIENT ATTEINT
PAR UNE INFECTION À BACTÉRIES MULTI-RÉSISTANTES ?
CP : Dans ce cas, les professionnels de santé ne peuvent plus prescrire d’antibiotiques de 1re intention et sont obligés d’utiliser des antibiotiques de 2e ou 3e intention voire de dernier recours. Ces traitements alternatifs peuvent être moins efficaces, causer plus d’effets secondaires et générer plus d’antibiorésistance. De plus, ils sont rarement disponibles en comprimés mais plutôt en perfusion ou intramusculaire. Cela altère la qualité de vie du patient en plus d’augmenter son risque de mortalité et de complications.
À terme, l’antibiorésistance pourrait également compromettre les chirurgies complexes, les chimiothérapies anti-cancéreuses, les greffes d’organes ou la prise en charge en réanimation. Avec le Covid-19, nous avons pris conscience de ce qu’était une infection dont on peut ne pas guérir. Même si le Covid-19 est dû à un virus, nous n’avions plus l’habitude de voir des infections potentiellement graves dont on pouvait mourir. On pense souvent, à tort, que toute infection a une solution mais rien n’est acquis.
EXISTE-T-IL UN ENJEU FORT CONCERNANT LA TRANSMISSION ?
CP : Effectivement, les bactéries et les gènes de résistance peuvent circuler librement et se transmettre entre les êtres humains, de l'humain à l'animal dans les deux sens, et se propager dans l'environnement. L’approche One Health4 est importante en matière de lutte contre l’antibiorésistance. Elle s'intéresse notamment aux personnes pouvant être touchées par une infection à bactéries multi-résistantes alors même qu'elles n'ont jamais, pris d’antibiotiques ou très peu. Nous pouvons aussi être porteur de ces bactéries et gènes de résistance dans notre microbiote, sans être malade, et les transmettre à notre entourage. Toute antibiothérapie a un impact individuel et collectif. Il peut arriver que certains chirurgiens-dentistes et autres prescripteurs ne perçoivent pas forcément les conséquences de leurs prescriptions d’antibiotiques, car elles leur sont souvent peu visibles. Alors que leurs patients vont développer de la sélection de résistances dans leur microbiote à chaque prise d’antibiotique,avec le risque de transmettre ces bactéries résistantes à leur entourage.
EN QUOI CONSISTE VOTRE MISSION DE CHEFFE DE LA MISSION MINISTÉRIELLE “PRÉVENTION DES INFECTIONS ET DE L’ANTIBIORÉSISTANCE” ? QUELS SONT VOS OBJECTIFS ?
CP : J’ai été nommée en janvier 2019 par la ministre Agnès Buzyn puis par le ministre Olivier Véran. Mon rôle consiste à assurer le pilotage opérationnel de la stratégie nationale de lutte contre l’antibiorésistance en m’appuyant sur toutes les directions du ministère et sur les agences sanitaires. Il existe une feuille de route interministérielle datant de 2016, pour laquelle je suis responsable du volet santé humaine, et également un plan en santé humaine, le PROPIAS5. J’assure leur pilotage opérationnel en lien avec toutes les directions du ministère, les agences nationales, les ARS mais également des interlocuteurs comme les organisations professionnelles, les associations de patients… Différents comités nous permettent de faciliter la mise en place des actions et leur suivi. Nous avons notamment un objectif de réduction de 25% de la consommation totale d’antibiotiques à horizon 2024.
QUI PEUT VOUS AIDER À RÉUSSIR VOTRE MISSION ?
AVONS-NOUS TOUS UN RÔLE À JOUER ?
CP : Seule une mobilisation large permettra de déboucher sur des changements réels de comportements et créer ainsi un vrai impact. Actuellement, l’antibiorésistance est souvent perçue comme un problème d’experts et plutôt comme quelque chose rencontré à l’hôpital. Pourtant l’antibiorésistance nous concerne tous. Tout le monde peut mettre en œuvre des gestes de prévention contre les infections. Car moins d’infections, c’est moins d’antibiotiques utilisés. Se laver les mains ou se vacciner par exemple, avoir une bonne hygiène bucco-dentaire. Nous luttons également contre l’antibiorésistance lorsque les antibiotiques sont bien utilisés, que leur prescription est respectée et qu’ils sont rapportés à la pharmacie pour ne pas polluer l’environnement. Côté professionnel de santé, un chirurgien-dentiste, par exemple, lutte contre l’antibiorésistance en prévenant les infections associées aux soins, en respectant le bon usage des antibiotiques, c’est-à-dire en prescrivant des antibiotiques uniquement quand c’est nécessaire, en privilégiant les antibiotiques de 1re intention et pour une durée la plus juste possible, comme les recommandations nationales le préconisent.
Nous souhaitons que les chirurgiens-dentistes s’engagent à nos côtés et prennent conscience, si ce n’est pas déjà le cas, qu’ils sont des acteurs-clés de la lutte contre l’antibiorésistance. Nous avons d’ailleurs saisi le Conseil National Professionnel des chirurgiens-dentistes afin qu’il produise en 2022 une boîte à outils à destination des praticiens pour les aider au quotidien dans leur pratique.
FACE À CETTE SITUATION PRÉOCCUPANTE, QUELS SONT LES ENJEUX PORTÉS PAR LA RECHERCHE ? Y A-T-IL PAR EXEMPLE D’AUTRES ANTIBIOTIQUES EN DÉVELOPPEMENT OU D’AUTRES VOIES THÉRAPEUTIQUES EXPLORÉES ?
CP : L’innovation est importante bien sûr. Un programme prioritaire de recherche sur l’antibiorésistance doté de 40 millions d’euros a été lancé par les pouvoirs publics. Il inclut la recherche sur de nouveaux antibiotiques, de meilleurs diagnostics, des alternatives aux antibiotiques, des vaccins... Mais la recherche ne va pas résoudre à elle seule le problème de l’antibiorésistance. Nous devons modifier nos comportements de manière durable : apprendre à prévenir les infections, avoir de meilleurs usages des antibiotiques afin que les nouveaux traitements mis sur le marché dans les années à venir soient efficaces le plus longtemps possible. Sinon l’histoire se répètera…
ÊTES-VOUS OPTIMISTE QUANT À LA RÉUSSITE DE VOTRE MISSION ?
CP : Je n’aurais pas accepté cette mission si je la trouvais impossible. En France depuis 10 ans, la tendance est à la baisse de la consommation d’antibiotiques. Certaines résistances et infections associées aux soins reculent. Nous pouvons donc y arriver. Mais la marge de progression est encore importante. Nos efforts doivent s’intensifier car nous n’avons que peu de temps devant nous. La mobilisation doit s’élargir. La pandémie Covid-19 aura peut-être permis une prise de conscience.
Au niveau international, c’est plus compliqué. Dans les pays à bas et moyens revenus, l’organisation des soins et l’accès aux traitements posent des défis spécifiques. Le soutien que l’OMS et d’autres organisations apportent est essentiel, car l’antibiorésistance est un problème global. On ne le résoudra pas si on s’arrête aux frontières de la France ou de l’Europe. Avec les voyages, les échanges, les bactéries résistantes de toute la planète circulent. Une approche globale est impérative.
1 Docteur en médecine, Céline Pulcini est professeur des universités, praticien hospitalier et infectiologue au sein de l’Université de Lorraine et du service de maladies infectieuses et tropicales du CHRU de Nancy.
2 Centre européen de prévention des maladies.
3 Le premier plan sur le bon usage des antibiotiques a été lancé en 2001.
4 Le concept “One Health” (une seule santé) est mis en avant depuis le début des années 2000, avec la prise de conscience des liens étroits entre la santé humaine, celle des animaux et les écosystèmes. Il vise à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires.
5 Programme de prévention des infections associées aux soins.