Bienvenue chez Kafka
Comment un sujet intéressant peut-il devenir aussi absurde ?
À mes yeux, cette question s’applique bien au problème du cobalt qui commence à agiter notre profession. Au départ, tout le monde pouvait vouloir se mobiliser contre un matériau décrit comme cancérogène, mutagène et toxique pour la reproduction. Mais lorsque la bureaucratie se dispense de toute concertation pertinente, que le hasard s’en mêle et que le désintérêt se propage au-delà des frontières, on arrive très vite à une situation qui démobilise.
Transformer une intention louable en une mauvaise application m’irrite et me déçoit. Laissez-moi vous dire pourquoi en trois points.
Premier point : l’idée reçue et la réalité.
À tous ceux qui disent que continuer à utiliser du cobalt en odontologie est un risque en s’appuyant si facilement sur le règlement REACH et la classification CLP, une clarification s’impose !
Tout d'abord, pourquoi les différentes études menées in vivo concernant l’utilisation du cobalt sous différentes formes dans notre pratique quotidienne montrent son absence de nocivité pour nos patients et ce, depuis plusieurs dizaines d’années ?
De plus, dans l’évaluation propre qui est faite du cobalt, il importe également de savoir lire les chiffres qui accompagnent les mots : cancérogène 1B, toxique pour la reproduction 1B et mutagène 2. 1B, cela signifie “danger présumé“ et 2 définit un “danger suspecté” et non une utilisation interdite.
Ainsi, s’il est important de garantir l’innocuité des produits pour la santé humaine et l’environnement, nous pouvons cependant déplorer que notre profession n’ait pas été associée aux réflexions européennes qui ont présidé à la modification du règlement REACH. La légèreté d’analyse a rencontré la lourdeur administrative et ça ne donne jamais des mariages heureux !!
Deuxième point : lorsque les calendriers se télescopent… et que nous devons nous débrouiller.
Il faut savoir qu’un règlement européen est une décision qui s’impose à tous les pays sans possibilité d’amendement à la différence d’une directive européenne qui peut être modulée. Lorsque les textes du règlement REACH sont publiés, le hasard veut qu’à la même période le gouvernement lance et impose le “100% santé”. Et c’est là que les règles européennes viennent percuter la loi française. En effet, certaines prothèses, qui ont un reste à charge modéré pour nos patients, peuvent comporter du cobalt. Par ailleurs, de nombreux soins pratiqués en orthodontie nécessitent, eux aussi, du cobalt. Alors comment faire ? Comment faire puisqu’il n’existe pas de solutions alternatives d’un point de vue fonctionnel, technique et économique de ces dispositifs médicaux comportant du cobalt sans priver l’accès aux soins à des millions de personnes ? Comment arbitrer entre ces deux décisions aux intentions si contradictoires ?
Troisième point : lorsqu’on nous offre du silence… et du silence pour seule réponse.
Vous imaginez bien que des associations membres de l’ADF ont posé ces questions au ministère dès 2019 mais ont été désagréablement surpris de demeurer sans réponse face à un tel enjeu. N’admettant pas ce statu quo, et dans l’objectif d’accompagner et de défendre la profession, l’ADF a réuni en 2021 l’ensemble des acteurs de la filière dentaire pour que nos politiques dialoguent et construisent avec nous des solutions intelligentes et intelligibles.
Ce silence tricolore existe aussi en Europe. En effet, nous pensions que l’inquiétude de notre profession de santé allait avoir un écho chez nos confrères européens. Nous nous sommes bien leurrés. Est-ce une désinvolture, une méconnaissance ou un choix délibéré ?
Je ne saurais pas répondre avec certitude mais je me confronte à cette apathie lorsque je viens et reviens aborder sans cesse cette question à Bruxelles.
Alors, nous pourrions nous décourager ?! Pas du tout !! Nous sommes face à un vrai problème pour lequel nous devrons trouver de vraies réponses. Il nous faut obtenir du ministère qu’il ne pense pas comme une autruche qui enfouirait sa tête dans le sable. Monsieur le ministre, Monsieur François Braun, cher confrère, nous avons des idées et vous aussi. Partageons-les, confrontons-les et coconstruisons un chemin vertueux pour nos patients et pour nos équipes.